Les geeks, les zombies cybernétiques, les addicts à l'écran
Ce
matin j’ai lu ça sur des forums pour les gens qui jouent à des jeux en ligne
(en l’occurrence Resident Evil : RE4 et 5 où Chris Redflied et Sheva
Alomar découvrent dans un village africain, qu’un virus meurtrier décime les
populations locales et les transforment en zombies plutôt agressifs) :
« virus
Zombie = SIDA (les deux "tuent" et "font tuer" en masse,
bouffer de la chair humaine n'est qu'un symptôme différent) »
Mais aussi : « ah voui, bien évidemment. Seulement
si je comprends que les images peuvent choquer, je ne vois pas en quoi on en
parle autant encore une fois. C'est pas le choc des images dont il est
question, mais bien le fait de ne pouvoir aborder le thème "noir",
comme n'importe quel autre thème. »
Ou encore : « C'est ce qui me troue. J'ai l'impression
que beaucoup oublient qu'on a affaire à un survival horror. Si les autochtones
foutent les jetons, c'est pas pour rien. On est exactement dans le même cas de
figure que RE4. La vocation du soft n'était pas de transmettre une mauvaise
image des espagnols, mais de faire flipper le joueur. Donc les persos étaient
bien crades, moches, violent toussa, question de stéréotypes. Le jeu n'avait
rien d'un retranscription fidèle de l'Espagne que je sache. On nous ressort
quelques années plus tard, pratiquement le même jeu, sauf que ça se déroule en
Afrique. Et là, pour certains, la pilule ne passe pas. Pourquoi?
-"Parce qu'il y a effectivement de la pauvreté en Afrique". Y'en a
pas dans les autres pays peut être?
-"Parce que le rapprochement Zombie/SIDA est trop facile." Le SIDA se
limite-t-il aux frontières africaines?
-"Parce que le héros est américain." C'est pas la première fois...
Alors quoi? Bah un blanc tire sur des noirs, c'est tout ce que certains
retiennent. Ca pourrait me choquer si le jeu ne se limitait qu'à ça ouais,
façon Manhunt. Mais là non,
pardon, je vois pas où est le problème... »
Réponse : Dans RE4, au debut, les villageois ont l'air
a peu près normaux et ils se transforment au fur et a mesure. Il y a de grandes
choses que ce soit pareil pour celui-ci. Le heros arrive au debut de la
contamination, il me parait normal que les ennemis ressemblent a des noirs
Réponse : Bien sur, et cela je l'ai marqué au début
du topic, nous parlons que sur ce que nous avons pu voir c'est à dire le
trailer, j'attend la suite
Réponse : Comme tu dis, le realisme flirte ici avec
des concepts tres sensibles et surtout entrechoque des choses de facon tres
bizarre Zombie/SIDA - violence africaine / violence des zombies - couleur de
peau / peau des zombies ...)
Outre le caractère
parfois hiéroglyphique pour le néophyte, il demeure dans ces pratiques autant
que dans les mots, l’exposition de beaucoup de vérités actuelles :
D’abord
il y a bien une analogie possible entre les malades du SIDA et les zombies. Il
est compréhensible qu’elle soit faite par les scénaristes et reprise par les
gamers. Cette analogie ne doit pas choquer et s’explique facilement par le sursit dans lequel se trouvent prisonniers
les malades, surtout en Afrique, mais aussi par l’apparence, cette apparition, même, du malade. Le virus
est le concept en or pour accrocher les geeks. Ils sont directement concernés
par les virus sur leurs ordinateurs mais c’est mieux que ça. Un virus est un
organisme extrêmement compliqué et qui possède une forme d’intelligence :
en mutant, il s’adapte. L’Homme a peu de prédateurs vivants. Le virus en est
un. Si bien qu’il est devenu une métaphore. Car quels virus épidémiques nous
ont contaminés et nous font courir à notre perte ? Le virus de la
consommation par exemple. La consommation sous toutes ses formes, y compris la
consommation d’images et d’écrans. Nous consommons des écrans, des informations
sur les écrans, des publicités sur les écrans… Et tout se passe comme dans la
maladie. Les effets sont visibles partout à l’œil nu, à la surface de l’Homme
comme à la surface de la Terre. Mais la cause, elle, est comme le virus,
invisible à l’œil nu, aveuglé que nous sommes par tout ce qui brille.
En cela,
RE4 pourrait se présenter comme un jeu assez bien pensant : éradiquer le
virus de la surface de la planète serait une bonne chose. Seulement voilà,
comme dans beaucoup de ce type de jeu, il faut en passer par un carnage !
Le geek n’est pas trop effrayé par la quasi apologie du crime qui est faite
dans les scénarios. Et puis ils tuent des zombies, pas des hommes. Merci pour
moi… Tuer des zombies ou des hommes, c’est toujours tuer. Et puis qu’est-ce que
ça rapporte ? Pas grand-chose, à part devenir soi-même un zombie : Il
existe aujourd’hui de plus en plus d’Etats mettant en place des systèmes de
désintoxication pour les jeunes rendus addicts aux jeux vidéo.
La vie virtuelle du zombie
cybernétique ramène, qu’on le veuille ou non, à cet état léthargique souvent
associée à l’état du zombie. Celui qui passe sa vie devant un écran ou qui
passe d’un écran à l’autre n’est pas à sa place.
Grâce aux technologies nouvelles, je ne m’ennuie plus et
c’est la pire des choses qui peut arriver à un être humain. Car je suis un
animal métaphysique. Ou plutôt je devrais l’être mais ne le suis plus. J’ai si
peur de m’ennuyer que je remplie mon temps. Et le plus souvent je le remplie en
abreuvant mes yeux d’images. Et lorsque, dans un sursaut humain, je veux tout
envoyer balader et revenir à la vraie vie, je ne sais plus ni quoi faire ni
comment faire. C’est ainsi que je mis un certain temps à réaliser que, contre
l’ennui qui survient parfois devant mon écran d’ordinateur où je n’ai soudain
plus rien à faire, je me ruais sur l’écran de télévision. Et si cet ennui
survenait l’après-midi où, comme tout zombie le sait, il n’y a décidément rien
à la télévision, alors je sortais… pour aller au cinéma ! Certains de mes
congénères complètent la liste par la console de jeu mais aussi par l’I-Phone,
dernier venu chez les écrans. A trop tromper l’ennui, c’est la vie réelle que
l’on vient à craindre. Je suis un phobique de la vie. Suis-je devenu zombie
parce que j’avais peur de la vie ou ai-je développé cette peur en devenant
zombie ?
Mais ces
occupations de l’esprit ne sont pas seulement pour tromper. Pascal, toujours
lui, considérait que nous n’étions délivrés de nos passions (vieux mot pour nommer
les émotions et autres petites choses qui nous embarrassent) qu’au moment où
nous éternuions. Car en éternuant, je n’ai conscience que d’éternuer et oublie tout le reste. Le problème dans l’ennui
c’est que je n’oublie jamais ce reste. Il faut donc que je comble le moindre
moment où je pourrais penser. Auparavant j’adorais le train car à deux on
pouvait discuter et seul on pouvait penser, réfléchir, rêver même, poétiser.
Puis vint la peur et l’ordinateur portable, avec son armada de dvd et de wifi.
Et le soir ? Il me restait le moment privilégié du soir lorsque j’éteignais
la lumière et que je pouvais enfin m’adonner à la rêverie. Mais j’ai tant de
problèmes qui tournent dans ma tête que je préfère aujourd’hui m’endormir
devant ma télévision. Combien de gens ne peuvent s’endormir que devant la
télévision ? Je lis une dizaine de livres par an. Et je suis un bon
lecteur ! Le livre, c’est le temps du silence. Le silence de la chambre
souvent. Cette fameuse chambre, si difficile à vivre et où dorénavant trône,
bien en face du lit, la télévision. Pour dix livres par an combien de films et
de séries télévisées ? Mais l’écran n’est pas toujours disponible. Car je
peux aussi penser en marchant. Rousseau pensait en marchant. Que dois-je
faire ? En cela, le cyborg vient à ma rescousse. L’image du robot japonais
évoquée tout à l’heure est un vrai double de l’humain, complet dans son aspect
zombie puisqu’il singe l’humain mais qui, en dépit de son intelligence
artificielle qui jusque là reste contrôlée par celle de l’Homme, n’a pas de
conscience. (Bien que dernièrement, des « études de science- fictions »
mettent en évidence que l’intelligence artificielle gagne du terrain par la
possible interconnexion de millions d’ordinateurs en ligne.) Si je renverse la
problématique, je trouve le vrai désarroi de l’Homme diagnostiqué par Günther
Anders : Nous souffrons ! Nous
souffrons de n’être plus capables de répondre aux exigences de nos machines, de
n’être plus à la hauteur de la situation qu’elles ont créée. Alors
comme B.F.Skinner devant ces robots japonais, je me dis: la vraie question n’est pas de savoir si les
machines pensent mais si l’Homme pense. Et si je ne pense pas…
suis-je vraiment ? Et si je pense… pourquoi ? Et pourquoi
faire ?
Car il y
a pire : mon intelligence commence à se mettre au service de la
destruction de ma propre conscience. Lorsque je marcherai, j’écouterai de la
musique dans mon I-Pod ou je téléphonerai. Dire qu’il est encore des gens pour
ne pas avoir la télévision – la refuser ? – arguant qu’elle est un cri permanent autant que vain porté face
au vide de notre existence... Ah bon ? Et ce pire est à venir car, ce
qui me fait prendre le plus de recul par rapport à moi-même et pourrait
m’amener à réfléchir, c’est la parole de mes amis, leur avis. Mais grâce à tout
ça, y compris mes faux amis de sites communautaires, je n’ai plus besoin
d’amis, je peux m’en passer, je peux vivre seul, isolé, replié, sans vie
sociale ! Enfin ne plus partager, ne plus comparer, ne plus échanger
ni discuter des points de vue qui remettraient tout en question, ébranleraient
les convictions que j’ai durement acquises et qui me permettent de vivre plus
sereinement.
Le zombie, contrairement aux visions véhiculées par le
cinéma, vit seul. Car même s’il vit en
bande, il n’a nullement conscience de ses congénères. Il n’est donc pas gêné
par leur présence. Mieux, elle lui est indifférente. .
Quoiqu’il en soit, ce que nous disent les jeux vidéos
(mais il en est de même pour le cinéma et la télévision) c’est que nous vivons
bel et bien dans une époque apocalyptique, ne serait-ce qu’au niveau
esthétique. En témoignent les nombreuses fictions sur le sujet. Cette sensation
d’Apocalypse imminente est forcément liée au zombie, soit que trop d’humains
mourront pour trop peu de place au royaume des morts, soient que l’Apocalypse
est déjà survenue sans qu’on s’en soit aperçu, de la même manière qu’on peut
considérer que l’Enfer est déjà sur Terre. Alors, comme être un humain serait la malédiction, être un zombie est déjà une réalité, une fatalité si j’ose dire.