le conceptdu zombie philosophique
Un matin de plus et c’est encore le même.
Dois-je revenir sur Sisyphe ?
J’écoute la radio, je bois mon café, je fume une
cigarette, je me sens heureux d’être libéré des déjections fécales, et, sans
avoir encore prononcé un mot, je vais me placer derrière mon ordinateur. Comme
il est rassurant, mon ordinateur ! Il me permet d’être relié au monde en
haut débit. Et je débite, en effet. Je lis mes mails, je réponds pendant des
heures, je vais sur myspace, facebook, peaufine mon profil, refais ma page,
mets quelques infos sur moi, lis celles des autres, commente, j’oublie de manger,
j’oublie l’heure, j’oublie de me doucher. Je vais sur Facebook checker mes
applications, voir si j’ai été mordu par un vampire, l’ennemi juré de
l’application zombie…
Il est 16h.
Derrière chaque poncif se cache une réalité
aveuglante : Je passe ma vie sur internet, j’ai une vie virtuelle :
Je n’ai pas de vie réelle. En plaçant mon corps devant un écran relié à
internet, je me crée un double de moi, à la fois sublimé et sans substance. Un
double étranger à moi-même qui peut finir par se substituer à moi. N’est-ce pas
là une définition possible d’une certaine maladie mentale ? Sauf que ce
double qui finit par m’imiter n’a pas de conscience. Il est proche de la
machine. A plus d’un titre. Proche de l’ordinateur, il va sans dire, qui imite
mon intelligence trop souvent plutôt que de la servir. En étant présent sur des
forums de discussions ou sur des sites communautaires, j’ai l’illusion
d’exister, je peux survivre et
j’occulte facilement le fait que je suis plutôt là pour vivre.
Zombie l’addict à internet et à l’écran, zombie tous
les addicts à n’importe quelle drogue. Zombie tous ceux qui ont une addiction,
les toxicomanes si souvent comparés aux zombies pour leur apparence d’humains
errants au regard agar. Mais zombies aussi ceux qui n’ont de vie que virtuelle.
Le temps, car c’est bien dans le temps que nous vivons, le temps passé sur Second
life, sur les sites communautaires et sites de rencontres révolutionnent la
vie, c'est-à-dire qu’ils le retournent comme une crêpe, crée un double de la
vie, une photocopie. On est amis sur
myspace remet en question la notion d’amitié, Gayvox et Meetic la notion de
vie sexuelle et surtout amoureuse où l’imperfection n’a pas sa place et crée
une quête sans fin : celui-ci ne me
plait pas, il a un problème, je passe au suivant qui aura un autre
problème puisque l’homme est imparfait… illusion de vie, illusion de vie
sociale…
David Chalmers
(http://consc.net/chalmers/) a beaucoup travaillé sur ces notions et rend plus
complexe la simple constatation de la zombification de l’être
cybernétique : Il le replace dans une réalité qu’il est trop facile
d’oublier. Car, même si je passe ma vie sur internet, j’ai quand même un
cerveau et j’ai quand même un corps et parfois même ce corps a mal. Chalmers me
pose la question du zombie philosophique via le dualisme corps/esprit.
Le concept du zombie en philosophie pose un être
qui a toute l'apparence d'un être humain, mais qui n'a pas de conscience, qui
ne pense pas. Les zombies, s’ils ressemblent à des êtres humains, seraient entièrement dans
le noir à l’intérieur. Leur comportement
étant similaire au commun des mortels, ils peuvent tout à fait avoir une
discussion concernant la conscience.
Dans
ce cas, quel est le cogito du zombie ?
Le problème du dualisme substance matérielle et substance pensante est longuement traité dans la philosophie de Descartes
mais elle est peu innovante en ce qui concerne le zombie cybernétique… Je me
moque un peu mais la mort c’est bien, ça laisse du temps pour relire Descartes,
je suis certain qu’il va m’éclairer sur des trucs…
La réflexion de Chalmers, plus contemporaine, part du
principe que, si on peut imaginer l’existence d’un corps humain sans y ajouter
forcément une conscience, on peut aussi le fabriquer potentiellement. Les sciences physiques peuvent en
effet décrire un corps sans jamais faire référence à une quelconque activité
mentale. Le corps humain est constitué de 70% de ceci, 10% de cela et cela est
un atome constitué de… Bref le corps est une matière à part entière,
indépendante d’une conscience (autre que celle qui a conscience de cette
matière, bien entendu, car cette conscience-là est celle du créateur potentiel
de cette entité, non pas une sorte de Dr Frankenstein, qui s’est justement
posée la question de la conscience, mais plutôt à un créateur de robots) Grâce
à de tels adeptes de la physique pure, le passage de l’imagination d’un être
sans conscience à sa conception paraît même simple.
La plupart des religions acceptent ou même défendent
le dualisme de substance. Sans lui il n’y aurait d’âme, cette âme dont Nietzsche,
pour une fois si proche du doute cartésien, disait qu’il ne fallait pas si vite évacuer l’existence étant donné
qu’on n’avait pas non plus de preuve de sa non-existence…
L’âme donc, à l’existence supposée distincte du corps,
sert notre idée de dualisme.
David
Chalmer s’est inspiré du film Matrix pour mettre au point une théorie corroborant
ce dualisme de substance. Il imagine une expérience informatique dans laquelle
les corps de toutes les créatures sont contrôlés par leurs esprits qui, eux,
restent à cette simulation. Ainsi les esprits n’existent pas dans l’univers
observable des créatures qui peuvent faire toutes les recherches qu’elles
veulent sans parvenir jamais à trouver où se situent leurs esprits. Matrix met
en lumière un cas de dualisme de substance en rapport avec l’informatique.
Plus précis encore, quoique plus mystérieux et donc
plus poétique : la place des qualia dans notre système de conscience. Les
qualia sont toutes ces informations qui nous parviennent et qui sont
indéfinissables et relatives. Les qualia sont de l’ordre de l’ineffable, de
l’individuel et du privé, elles sont une expérience qui parle directement à la conscience sans qu’on puisse les
traduire avec des mots. Nous avons conscience par exemple que le rouge est
rouge… on ne peut pas communiquer les qualia, ce sont des expériences sensibles
qui nous font reconnaître, par exemple, une musique belle. En ce sens ils nous
semblent une sorte de conscience archaïque, peut-être innée mais c’est plus
complexe encore.
Pour Robert Kirk, les zombies
philosophiques ont pour but de rendre plus évidente l’idée que la conscience
serait en plus, quelque chose au-dessus
et à côté du monde physique.
Le spirituel et le matériel semblent avoir des
propriétés plutôt différentes et sans doute irréconciliables. A quoi ressemble
le ciel bleu ? Qu’est-ce qu’on ressent lorsqu’on se brûle le doigt ? A
quoi ressemble une musique agréable ? Voilà les qualia, ces aspects
subjectifs de l’esprit. L’argument est
alors que ces qualia semblent particulièrement difficiles à ramener à
quoi que ce soit de physique.
Dans la lignée du doute cartésien sur lequel je
promets toujours de revenir, et allant plus loin que Chalmers sur la conscience
et les qualia, Thomas Nagel vient toucher les limites de la conscience avec sa
question : Quel effet cela fait
d’être une chauve-souris ? Nous n’avons aucun moyen de le savoir à moins
d’être soi-même une chauve-souris. Et encore, une chauve-souris pensante !
Nagel en conclue donc que les qualia échappent à l’analyse et que par
conséquent l’analyse scientifique de la conscience même est une quête absurde
et vaine.
Et, de la même manière que Nietzsche pose la question Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que
rien ?, David Chalmers semble nous demander, en relation avec le
problème difficile de la conscience : Pourquoi
sommes-nous des choses pensantes plutôt que des zombies ? Car
j’habite le même monde que vous mais c’est un monde sans rien à l’intérieur.
Et si je ne peux pas me considérer comme un zombie
uniquement parce que je passe ma vie sur internet, l’addiction exaspère le
zombie qui est en moi, le met en lumière en même temps qu’il l’explique et le
prouve. Combien, dans ce cas, êtes-vous de zombies qui s’ignorent ?