Ma théorie du zombie
C’est G.A Romero qui créa le genre du film de zombies en
1968 avec « La Nuit des morts vivants ». En 1978 « Dawn of the
dead » développe une thèse-légende vieille de plusieurs siècles : Quand il n’y a plus de place aux Enfers, les
morts reviennent sur Terre.
Or la place du mort est au royaume des morts. S’il est
parmi les vivants, c’est qu’il n’est pas à sa place. Alors en vérité, je vous
le dis, oui, oui : Zombie celui qui n’est pas à sa place !
Zombie alors le sans travail. Celui qui devrait se
lever tous les matins parce qu’il a 30 ans et que sa place est dans le monde de
l’actif. Actif, celui qui agit, qui bouge. La vie est reconnue par le
mouvement. Celui qui ne bouge pas, qui est inerte, est presque mort.
Mort ! Mais pas chez les morts.
Chômeur parmi les travaillants, je suis hors du modèle de la société libérale
qui entreprend. Même le vrai zombie, l’esclave, travaille. Je suis moins qu’un
zombie !
Ma
zombification a créé un rapport difficile au temps. Ne travaillant pas, j’ai
trop de temps à combler. Pire, être zombie entraine dans une spirale vers l’état
de zombie-renforcé : Nous savons depuis Pascal que l’une des choses les
plus difficiles à supporter pour un homme est de garder la chambre sereinement.
Tous les démons nous y guettent. L’ennui, la mélancolie, l’angoisse. Penser
fait peur.
Comme je ne travaille pas, je n’ai pas de jour de congés où je peux prendre du recul sur mon travail. Trop de temps...
Même le pape nous le dit. Ennuyez-vous ! Il est indispensable que l’homme ne se laisse
pas asservir par son travail, qu’il n’en fasse pas une idole prétendant trouver
en lui le sens de la vie. S’il le
dit…
Quand j’étais petit on me posait la
question qu’on pose à tous les enfants : Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? Et moi je
répondais : Rien. Je crois que, de ce point de vue, j’ai réussi
ma vie. L’Eglise réclame pour les Hommes un jour de congé pour se consacrer à
Dieu. D’autres le réclament pour se consacrer à eux. Moi je milite pour ne le
consacrer à rien. Ce dimanche, que les excités du travail abhorrent, est le
droit d’expression de la vacuité où s’immisce la mélancolie nécessaire. Je dis
nécessaire mais je peux dire joyeuse. Le vide nous réconcilie avec nous-mêmes
en cela qu’il nous met face à face. Alors pas d’échappatoire. Le divertissement
n’est pas là où on croit. Le travail nous divertit de l’essentiel. Le travail
serait tout alors qu’il n’est que la
meilleure manière de fuir devant nous-mêmes. La vie elle-même, en dehors du
travail, s’est transformée en agitation. Et l’agitation n’est pas la marche à
suivre pour une belle et bonne vie.
Bien sûr il faut d’abord vivre avant de philosopher.
Mais nous ne sommes pas que des animaux laborans,
nous sommes avant tout des animaux métaphysiques. Les Hommes eurent longtemps
un modèle de société basé sur deux catégories : Ceux qui avaient le loisir (otium) de penser, et ceux qui ne
l’avaient pas et pratiquaient par nécessité le negotium. Le modèle que les chrétiens y ont substitué fut cette
devise pour réhabiliter le travail : Ora
et labora : Prie et travaille. Aujourd’hui notre société, sous couvert
d’être respectueuse de la devise chrétienne est mâtinée du modèle antique de l’otium et du negotium.
Moi je ne prie pas, je ne travaille
que peu et réfléchis à peine.
Suis-je ?
Est-ce que ces trois verbes sont nécessaires pour
faire naître le verbe être ?
Qui peut prouver que ne rien faire revient forcément à
s’ennuyer ? Et qui peut nier que l’Ennui n’est pas une forme agréable ou
possible de l’être face au faire ? Un long dimanche perpétuel ferait si
peur à l’homme. Je me ferais traiter de fainéant. Mais où est l’insulte ?
Je fais néant en effet. Pourquoi l’un serait mieux que l’autre ? Il est
des morales auxquelles on est tellement habituées qu’il est impossible de les
remettre en question. Ça ne nous vient même pas à l’esprit.
Mais pour être honnête jusqu’au bout, quelque voie que
l’on choisisse – le faire ou le néant – l’une mène à la zombification et
l’autre aussi. Un peu comme le tu
bouffes, tu bouffes pas , tu crèves quand-même ! Et puis faire néant, c’est déjà faire…
Zombie celui qui ne travaille pas mais zombie aussi
celui qui travaille.
Celui qui ne travaille pas comme moi, ne peut en aucun
cas savourer le repos et, laissant de côté tous ses problèmes, se mettre à
réfléchir sur soi, faire le point. Sur quoi voulez-vous que je fasse le point ?
Je fais le point tous les jours sur le fait de faire le point. Zombie !
Mais je réserve ma morgue pour celui qui travaille plus pour consommer plus.